Plane mode.
Je suis dans une période étrange de ma vie. J’ai l’impression d’être revenue huit ans en arrière. Quand je déjeûnais au Red Bull-clope. Quand je buvais des bières tous les jours. Quand je prenais du MDMA. Quand j’en avais absolument rien à foutre de ma santé. Quand je couchais avec mille personnes différentes par semaine.
Aujourd’hui, ce n’est plus le Red Bull mais le Coca. Quelle sale anticapitaliste je fais. Aujourd’hui, j’ai recommencé à fumer. Du tabac à rouler et de la weed sans THC. Aujourd’hui, je ne suis plus monogame. Je ne me mets plus en couple pour tromper la personne tous les weekends. Je refuse désormais d’être la copine de qui que ce soit. Et ça a changé ma vie. C’est tellement plus simple. Je me sens tellement libre. Je ne dois rien à personne. Je peux boire des verres, faire la fête et baiser avec qui je veux, quand je veux. La notion de couple ne veut plus rien dire pour moi. Prétendre que l’on ne sera attiré.e que par une seule personne pour le restant de ses jours est un gros mytho. Prétendre que l’on aimera inconditionnellement quelqu’un toute sa vie est une aberration.
Aujourd’hui, des hommes paient pour coucher avec ma pote Coline et moi. On prétend qu’on est un couple bi. Qu’on a besoin d’argent pour nos études. Ils fantasment de baiser avec deux meufs et ils fantasment de venir à notre rescousse. On s’est fait plus de mille balles samedi passé. C’était un gros geek. Je l’avais deviné par son pseudo sur le site de petites annonces. En réalité, il s’appelle Jérémy. Il a trente ans et il est informaticien. Il arrive à se payer un trois pièces dans le centre de Genève. Et deux heures de plan à trois. On est assez bien tombées. Il n’était pas laid. Il était gentil. Courtois. Il avait préparé la thune sur la table basse de son salon. Coline et moi avons commencé à s’embrasser sur son lit. Il s’est assis à côté de nous. Pour l’inclure, je lui caressais la bite à travers le pantalon. Le premier truc qu’il a voulu faire, c’est nous faire jouir avec sa langue. On a les deux simulé, même s’il se débrouillait pas trop mal. On avait autre chose en tête. On ne pouvait pas entièrement lâcher prise. S’en est suivi d’une heure et demi de sexe assez intense. Mais pas violent. Je suis un peu restée sur ma faim à ce niveau-là. Il a joui dans ma bouche et on lui a fait des câlins cinq minutes avant que je perde patience et que je me rhabille. Il est spontanément allé chercher l’argent pour l’heure supplémentaire. On s’est fait un câlin maladroit pour se dire au revoir. Coline a oublié son sac en partant, il est descendu dans la rue pour le lui rendre.
Jonas me met mal à l’aise. Il ne m’a pas adressé la parole pendant une semaine. Il m’a envoyée chier lorsque j’ai demandé de ses nouvelles. Je l’ai appelé tout à l’heure. Il est saoulé de la dynamique qu’il y a entre nous. Que ce soit toujours lui qui demande à ce qu’on se voie. Que j’en aie rien à foutre de ne pas dormir avec lui pendant deux semaines. Qu’il accoure lorsque je vais mal. Que je ne bouge pas lorsque lui va mal. Voilà l’idée qu’il se fait de nous. Je ne suis pas d’accord avec ça. Mais j’ai écouté. J’ai respecté son ressenti. Je me suis engagée à être plus présente. On raccroché, satisfaits.
Une heure après, il m’écrit par message.
Tu me manques
Et je t’aime
Et je suis desole de pas tjs etre a la hauteur
Et de fuir lâchement
...
J’aimerais que tu sois ma copine
A ce moment-là, j’ai une boule d’angoisse dans le ventre. Je lui dis qu’il me demande d’être quelqu’un que je ne suis pas. Je lui demande pourquoi il veut absolument nous mettre une étiquette. Ce à quoi il répond :
Parce que tu es borderline
Et que tu as besoin d’un cadre
A défaut d’une laisse
Je lui ai demandé si c’était censé être de l’humour. Il répondu qu’il était sincère, hormis la laisse. J’ai mis mon téléphone en mode avion.
Et dire que ce type se revendique féministe. Ces messages me font froid dans le dos. Je ne sais pas ce qui est le pire. Qu’il prétende que son envie de me contrôler soit pour mon bien. Qu’il ne se rende pas compte de la violence de ses propos. Qu’il prétende que, si on a de la peine à communiquer, c’est parce que je suis borderline. Qu’il va probablement me reprocher de l’avoir déserté alors que je venais de m’engager à ne plus le faire. Que je sois tombée encore une fois sur un homme manipulateur. Que même les hommes soi-disant féministes sont des tarés. Que je ne sais pas comment je vais me sortir de cette situation. Que je regrette d’avoir essayé de me réconcilier avec lui. Que j’aurais dû le laisser disparaître de ma vie.