Ultimatum.
J’ai bien senti qu’il y avait quelque chose qui clochait. Un noeud dans les tripes. Dans la poitrine. Dans les ovaires. Un brouillard d’anxiété dans ma tête. Il a mis cinq minutes pour me dire "Rien ne cloche." Puis quinze minutes plus tard. "Il y a quelque chose. A propos de ce qu’on fait et combien de temps ça va encore pouvoir durer." J’étais dans le couloir avec Coline en train de choisir un DVD pour me changer les idées. Je me suis effondrée. Une heure plus tard, je raccrochais le téléphone. Josh. Josh et son putain d’ultimatum. On recommence une relation sérieuse ou on ne se voit plus. Il en a marre d’être utilisé comme un sextoy. Il a vingt-huit ans. Il veut une copine. Un mariage. Un enfant. Une maison et un chien. Il veut être fidèle. Il veut devenir adulte. Moi. Moi, je veux pouvoir tomber folle amoureuse le temps d’une soirée. Je veux rencontrer des personnes magnifiques. Je veux ressentir cette étincelle dans mon bas-ventre lorsque je croise le regard de quelqu’un dans le métro. Je veux m’imaginer le monter ou la baiser. Je veux pouvoir fantasmer. Je veux pouvoir désirer. Je veux pouvoir me bourrer la gueule et sauter sur tout ce qui bouge. Je rêve d’un idéal de sexe, d’amour, de joie, de confiance, de liberté. De polyamour. Tout le monde autour de moi prêche le polyamour. Mais personne n’y arrive. Personne n’y arrive. Idéal inatteignable. Moi. Moi, je ne peux pas imaginer ma vie sans lui. Putain, je l’aime tellement. Alors j’essaie de construire dans ma tête un scénario qui me conviendrait. Pas de mariage. Plutôt mourir. Un enfant par accident, pour ne pas avoir à attiser les foudres de mes amis anti-natalités. Un chat, plutôt qu’un chien. Parce qu’on devra bosser comme des abrutis pour payer un gosse, et les chiens, c’est trop de responsabilité. Je veux pas de garçon. Je veux une fille. Métisse aux yeux bleus. Une gueule d’ange et des t-shirts de métal pour enfant. Un appart pas trop cher. Une pièce transformée en studio de musique. Un frigo rempli de bonne bouffe vegan. Des matinées de méditation et des nuits de rough sex. Un foyer rempli de musique, de danse, d’art. Un amour éternel. Des plantes de weed sur le balcon.
Coline m’a tendue lorsque je lui en ai parlé, les yeux dégoulinants de mascara. Je risque de perdre l’homme de ma vie. Elle risque de perdre un semblant de revenu. Car si je deviens exclusive à Josh, je ne ferai plus de travail du sexe avec elle. J’en ai rien à foutre. C’est pas comme si ça nous rapportait des millions. C’est pas comme si ça ne m’atteignait pas au plus profond de moi-même de devoir faire semblant de surkiffer ces misogynes aux bides remplis d’animaux et de bière. De vénérer leur médiocre bite. De jouir par anal. Les hommes n’y connaissent rien. Même à cinquante ans. Même à leur mort. Ils dormiront à jamais sur leurs deux oreilles sans penser une seule seconde que toutes les femmes qui ont eu le malheur de croiser leur chemin ont simulé pour tenter d’y mettre fin. J’en ai rien à foutre d’arrêter. On s’est toujours promis avec Coline qu’on ne ferait pas ça longtemps. J’ignore totalement ce que me réserve l’avenir. Car, ce soir, ma vie a probablement changé. Je pensais vivre dans ma nouvelle colocation avec mes meilleures potes encore longtemps. Puis peut-être en squat après s’être fait virées. Je pensais vivre de petits jobs à droite à gauche pour subvenir à mes modestes besoins. Je pensais rencontrer des gens fabuleux. Pour une nuit. Pour quelques mois. Désormais, je vais vivre pleinement ma relation avec l’amour de ma vie. Ce qui est, au fond, une putain de chance.