Jewel

Edgy.

'Caffeine from Monday to Friday to energize you enough to make you a productive member of society. Alcohol from Friday to Monday to keep you too stupid to figure out the prison that you are living in.'

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J’ai beaucoup bu, et j’ai sniffé un truc bizarre. La fille était trop jolie, j’ai pas pu résister. On est allés jusqu’à Berne pour une soirée. Bastien, Josh et moi. Les choses sont tendues depuis un certain temps entre nous trois. Bastien, mon meilleur ami que j’ai friendzoned il y a des années, ressent toujours quelque chose pour moi. Du coup il est jaloux de Josh, mon copain. Du coup il essaie tant bien que mal de me dégoûter de Josh en le critiquant constamment. Du coup Josh n’apprécie pas. Du coup ils ne s’aiment pas. Du coup l’atmosphère est tendue. Et moi je me retrouve au milieu de tout ça. Bref. Tout s’est plutôt bien passé, étonnamment. On a énormément rigolé. Je me suis pété la gueule dans la neige. La musique était incroyable. Incroyable. Le club était sympa. Un peu glauque, comme j’aime. Avec un babyfoot dans un coin. Je suis allée aux chiottes avec des meufs que je ne connaissais pas. Cette fille, qui m’avait prise par la taille plus tôt dans la soirée et que j’ai dû repousser à cause de Josh, était là aussi. Super belle. J’étais très, très attirée par elle. Brune aux yeux bruns. Peu de formes. Dix-huit, dix-neuf ans. Edgy. Simplement superbe. Elle m’a dit un truc en allemand que j’ai pas compris et j’ai sniffé son machin. Puis on est allés jouer au babyfoot. Son truc a fait effet. Je sais pas ce que c’était, mais ça m’a donné la pêche. Je n’ai rien dit à Josh, évidemment. Il aurait été furieux. Il ne s’en est pas douté, même si je n’arrêtais pas de me frotter le nez. Bastien non plus. Dans le train du retour jusqu’à Genève, je me sentais comme une merde. Je n’aime pas prendre des trucs. Je n’aime plus prendre des trucs. Je n’ai plus quinze ans. Faut que j’arrête avec ça. Y a eu un peu de drama entre Bastien et Josh. Enfin plutôt entre Josh et moi, au sujet de Bastien. Pas envie d’en reparler. Pas besoin d’en reparler, C’est chiant à en mourir. C’était il y a deux semaines, de toute façon.

J’ai beaucoup bu, et j’ai passé deux heures dans les chiottes à vomir et à perdre connaissance. Deux heures. Deux heures. Je n’ai pas vu le temps passer. Probablement parce que j’étais inconsciente la plupart du temps. Quelques minutes avant, j’envoyais chier Josh pour je ne sais quelle raison et j’étais sur le point de choper une fille. Puis j’ai disparu. Deux heures. Il a cru que j’étais partie avec elle. Il m’a finalement retrouvée aux toilettes et m’a ramenée à la maison. Depuis, il me fait la gueule. Il le nie, mais il me fait la gueule. Je le comprends tellement. Je ne suis pas cool avec lui quand je bois. Je disparais pendant des heures. Je pars du club sans rien dire à personne. J’essaie de choper des filles. Je fais des crises ridicules. Je pleure. Je gueule. Je fais la tronche. Je suis parano. Je suis une drama queen. Et le lendemain, j’agis comme si de rien n’était, puisque je ne me rappelle de rien. Pathétique. Sérieusement, je n’ai plus quinze ans. Josh m’en veux. Il trouve des prétextes à la con pour me gueuler dessus, alors que je sais qu’il cherche juste à défouler sa colère de vendredi passé. Pourtant, il nie. 'I’m not mad anymore, Jewel.' Je me suis excusée des milliards de fois. Je lui ai promis de ne plus jamais flirter avec d’autres filles. De ne plus jamais disparaître pendant deux heures. De ne plus jamais boire autant. Je ne peux rien faire de plus. Lui-même me l’a dit. Lui-même le sait. Et pourtant il m’en veut encore tellement. J’imagine qu’il ne me pardonnera pas avant que je fasse mes preuves le weekend prochain. Qu’il voie que je peux être une bonne petite amie en soirée. Qu’il peut avoir confiance en moi. En attendant, je m’en prends plein la gueule. Il est tellement désagréable avec moi. Il fait semblant d’en avoir rien à foutre de moi. Il fait semblant d’en avoir rien à foutre si on ne se voit pas de la journée. Et quand je lui dis que je ne peux pas le voir ce soir, il me gueule dessus. J’en ai marre. Mais je comprends. Mais j’en ai marre. J’ai l’impression d’être mariée avec lui depuis dix ans.

Demain, dernière journée avant la fin du monde. Pas que j’y crois. Mais ça fait réfléchir. Qu’est-ce que je ferais pendant cette dernière journée ? Rien. J’irais en cours. Je m’engueulerais avec Josh par sms. Je verrais Bastien qui me tire une gueule pas possible. Je me ferais crier dessus par mon directeur parce que je ne suis jamais là. Je verrais ces pouffiasses toutes pareilles. Ces BG tous pareils. iPad, Abercrombie, Facebook. Ça me donne la gerbe. La gerbe. Qu’est-ce que je fous parmi eux. C’est un autre monde. Je verrais toutes ces filles qui n’ont rien d’autre à foutre de leur vie que de critiquer tout le monde. Sans jamais oser ouvrir leur gueule lorsque la personne est en face d’elles. Le jugement sur les autres et l’hypocrisie. Je déteste. Je déteste. C’est pour moi les aspects les plus ridicules et pitoyables de l’être humain. Je ne me sens pas à ma place. Je ne suis pas comme eux. Je ne suis pas sociable et je préfère être seule. J’ai de la chance d’être tombée sur un groupe d’amis comme moi. Un groupe d’amis qui ne cherche pas à être parfait à tout prix. Dépressifs, suicidaires, gays, artistiques, anorexiques, anti-sociaux. Différents. Et ils s’en foutent. J’ai de la chance. Qu’est-ce que je ferais pendant cette dernière journée ? Rien. Et c’est tellement triste. D’ailleurs, je me dis de plus en plus que j’aimerais que ça arrive vraiment. Je sais que ce n’est pas possible. Mais vivre la fin du monde, quoi de plus fort ? Quoi de plus fort qu’une planète dévastée et sa pitoyable population qui disparaissent en un claquement de doigts ? Qu’aurait-on à perdre, réellement ? Rien. Rien du tout.