Jewel

Caffe Latte.

Lorsque la fin du monde sonnera on sera tous devant notre poste de télévision au lieu de regarder les étoiles.

Il y a quelque chose d’étrange ces temps-ci. Je sais pas si je vais bien. Je sais pas si ça va toujours pas très bien. Je sais pas si j’ai envie d’être de bonne ou de mauvaise humeur le matin. J’ai trop rit avec Amanda et Carina en allant en cours. En arrivant, je voulais être glaciale avec les filles, ça s’est terminé par un fou-rire avec Aude. J’ai eu un petit malaise, l’impression d’être sur le point de m’évanouir. J’ai l’habitude. J’ai carburé à la caféine toute la journée. Deux energy drink et trois caffe latte. J’avais trop mal dormi. J’ai presque rien mangé aujourd’hui, pas faim. J’ai raconté à Natalie pour Mom. Ça m’a trop soulagée d’en parler. J’ai casé un peu d’humour, comme quoi ma mère a tellement pas de seins que le médecin à galéré pour les mettre entre les plaques. Natalie a très bien compris que j’avais envie de pleurer. Elle sait qu’elle ne doit pas me prendre dans ses bras dans ces moments-là. Que sinon les vannes s’ouvrent et ne se referment plus. Test de physique aujourd’hui. J’ai assez géré, je crois. Je n’en revenais pas. J’ai beaucoup travaillé avec Chuck ce weekend comme j’étais malade. J’ai pas pu sortir. Natalie a tellement profité de sa soirée samedi qu’elle a vomi dans sa poubelle. Ça lui arrive jamais. J’aurais voulu voir son état. Dad est incroyablement gentil avec moi. C’est louche. Il complimente mes bijoux. Il complimente mes cheveux. Il me donne vingt balles, comme ça, sans raison. What the fuck is going on ? Il nous paye un weekend à NY avec Chuck, Caro et Aaron. Comme ça, sans raison. Probablement parce que Mom est peut-être malade. Il en a pas parlé d’ailleurs. Il parle avec la thune qu’il nous donne. Je suis fier de toi ? Je te le dis pas, mais allez, tiens, cinquante francs (oui, des francs. Hopp Schwiiz.). J’ai encore trois tests d’ici les vacances. Un par jour. En révisant celui du lendemain, je stresse déjà pour le suivant. Mercredi, c’est du droit. J’ai peur. Mom m’a foutu un vent quand je lui ai envoyé un message 'i love you mummy'. 'Glad your exam went well.' m’a-t-elle répondu. Merci, Mom. Si elle pense qu’elle va mourir, elle devrait être gentille avec les gens, et surtout avec nous. Elle est horrible, ces temps. Vraiment insupportable. Râle. Gueule. Grogne. Hurle. Insulte. Ronchonne. Agresse. Peste. Pleure. On n’en peut plus. Mais on peut rien dire. C’est dur pour elle. Elle arrête pas de dire des phrases clichés, genre 'vous êtes grands, vous avez plus besoin de moi.' ou 'c’est le destin qui a voulu ça' alors qu’elle ne sait même pas encore si c’est cancéreux. Ça me tend. Elle a toujours aimé faire sa mélodramatique. Hier elle pleurait au téléphone, en russe. Ça devait être Babushka. Ou Diedushka, mais ce serait bizarre. Caro me saoule. Elle est collante. Elle perd toujours quelques années quand elle est malade. Sur le canapé du salon à pleurnicher parce que je veux pas rester près d’elle. Mon angina va mieux. Mal à la gorge, mais je tousse moins. J’ai pu fumer ma première clope depuis cinq jours. Et cinq jours, c’est long, croyez-moi. Quand tu as envie de fumer et que tu en es incapable. Quand une seule latte te brûle la gorge et les poumons. Je vous ai parlé de la métairie ? Mes tests étaient négatifs. Négatifs. Je sais pas comment c’est possible. J’avais fumé. J’avais même pas mal fumé. Je l’ai dit à Mom. 'Bravo'. C’est tout. Elle, elle a recommencé à boire. Elle prétend qu’elle avait dit qu’elle arrêtait pendant un mois. Pour voir. Qu’elle est pas alcoolo. Mais elle l’est, et elle le sait très bien. Tout le monde le sait. Ça la fait rire de le clamer, mais elle devrait avoir honte. Moi j’ai honte. J’ai honte d’avoir été dépendante à la drogue. J’ai honte d’en avoir eu besoin tous les jours. Plusieurs fois par jour. J’avais honte quand je trouvais pas de dépanne et que mon cerveau pétait les plombs. J’ai honte quand je pense aux milliers de francs (oui, des francs) que j’ai donnés aux renois contre un peu de weed. J’ai honte d’être une toxicomane. J’en parle librement ici, mais ne croyez pas que je me trouve cool. Je suis pitoyable, comme tous les fumeurs de joints, comme tous les piliers de bar, comme tous les cinquantenaires qui se bourrent de somnifères ou d’antidépresseurs. J’étais une droguée. Les drogués. Ces gens qui dorment parterre, dans leur propre merde, qui donneraient n’importe quoi pour s’enfoncer une aiguille dans la veine. J’aurais pu devenir comme ça. J’étais autant une droguée que ces gens-là. Un drogué, ça reste un drogué. Sauf que moi j’ai la chance d’avoir une mère qui m’a fait me bouger le cul. J’ai honte d’être une droguée. C’est de la faiblesse. C’est un échec. Et Mom aussi vit cet échec. L’alcool c’est pareil, quoiqu’on dise. C’est pas une drogue mais c’est pareil. L’autre jour, Mom m’a dit 'avec tout ce que tu as fumé dans ta vie, tu vas peut-être mourir avant moi.' Ouais, peut-être. Ou peut-être que tu as le cancer du sein. Elle a toujours dit 'Nonna se la fermait tout le temps, c’est pour ça qu’elle a eu un cancer, pour qu’on fasse attention à elle. Moi, je n’aurai pas de cancer. Laissez-moi parler.' Elle a toujours parlé, et aujourd’hui, elle a peut-être la même merde que Nonna. Nonna, c’est la mère de Dad. Décédée en 2001 d’un cancer du sein. Je crois que j’ai pas pleuré. J’étais pas très grande. Ça ne m’avait pas choquée. On le savait depuis longtemps. Elle a pas voulu se soigner. J’aurais fait pareil. Mom ferait pareil, je pense. Mom fera pareil. J’ai envie de pleurer.